Sarah Trouche, « First », Pont Notre-Dame, Paris

Sarah Trouche, « First », Pont Notre-Dame, Paris

C’est à 18 ans que Sarah Trouche réalise sa première performance, un saut dans le vide, nue, depuis le Pont de Notre-Dame.

Pour cette jeune fille du Médoc, tout juste sortie d’un internat de jeunes filles, ce geste est pensé comme une action en faveur des sans-abri qui vivaient à cette époque sur les quais de Seine.

Utiliser son corps dans l’espace public pour défendre une cause est le principe moteur du travail de cette artiste qui nous apprend à porter un autre regard sur la société et sur les différentes manières de vivre de par le monde. De la Mer d’Aral au Kazakhstan, en passant par Taïwan, le Japon, Chicago, la Muraille de Chine, un pays où elle est toujours interdite de séjour, ou encore Miami où elle fut violemment agressée, le parcours artistique de Sarah Trouche est déjà riche en expériences humaines !

Revenons sur ce saut dans la réalité d’un monde, un saut qui marque pour cette artiste le début de sa pratique et donne le ton d’un engagement corps et âme hors du commun.

Quelle a été ta formation artistique ?

Après avoir beaucoup peint durant mon adolescence, j’en ai appris la technique avec Marcel Visonneau qui approchait alors les 90 ans et venait de l’École de Pont-Aven. Je vivais à cette époque dans les campagnes du Médoc près de Bordeaux. Des études classiques de peinture répondant à l’image du maître et de l’élève qui tranchent complètement avec ce que je peux faire aujourd’hui. Pourtant je me définis comme performeuse et plasticienne. Dans certains de mes projets les deux pratiques sont réunies et se complètent comme celui réalisé récemment en Martinique sur l’Impératrice Joséphine (1). C’est aussi grâce à la performance que je suis entrée à l’École des Beaux-Arts de Paris…

Peux-tu nous parler de cette première performance dans l’espace public ?

Lors de mon arrivée à Paris, j’ai été très choquée de découvrir la pauvreté des sans-abri qui vivaient sur les quais dans des conditions terribles, des habitats de fortune et j’ai décidé de faire une action pour eux. C’est pour tous ces SDF que je me suis mise à poil et que j’ai sauté !

Comment as-tu préparé cette action ?

« First » est une performance qui a été assez difficile à monter car le protocole pour s’assurer du respect des éléments de sécurité, de la mise en place avec les indispensables repérages aux croquis préparatoires, est assez lourd. Je devais m’assurer que chaque détail fasse sens. Mon choix s’est porté sur le pont de Notre-Dame parce qu’il relie la cathédrale, un lieu très symbolique pour moi, au reste de la ville. Le matériel m’a été prêté par la boutique du Vieux campeur parce que je n’avais pas d’argent. Pour l’anecdote, j’ai essayé le harnais habillée mais une fois nue il n’était plus assez ajusté et sur le pont, au moment d’enjamber la rambarde, j’ai eu un petit moment de doute.

Comment s’est passé le contact avec les SDF ?

Les SDF sur les quais ne comprenaient pas ce qui se passait mais ils ont tous trouvé ça super. De notre côté, tout le monde était content d’avoir achevé l’action sans accident et nous étions fiers de nous. Je me suis très vite retrouvée encerclée par tous ces SDF, nue en train de débiter mon discours. Eux ne comprenaient pas trop et pensaient qu’on tournait un film de cul. Et quand je leur ai expliqué mon action ils étaient hyper touchés.

Que reste-t-il aujourd’hui de cette performance ?

Il ne reste pratiquement rien si ce n’est deux photographies. Cette première action n’a pas été filmée. Ce sont des vacanciers américains qui, complètement hallucinés de me voir faire ça en plein Paris au mois de février, ont pris des photos. Je suis rentrée aux Beaux-Arts de Paris grâce à cette première action.

Comment cette première performance a-t-elle orienté ta pratique ?

Ce saut, son adrénaline, ont vraiment été les déclencheurs de ma pratique. Mais le plus marquant reste les rencontres que j’ai faites avec les gens sur place. Un très beau moment de partage qui a lancé le début de mes actions en tant que performeuse. Plutôt que de parler de moi, j’allais utiliser mon corps pour être vecteur d’autre chose.

« J’essaye toujours de m’échapper de cette nudité qui pose problème par une approche de plasticienne. Je donne à voir mon corps faire une action et pas du tout en train de poser. Mettre des vêtements serait comme porter un costume, un accessoire et je rentrerais dès lors dans la théâtralisation d’un acte. » Citation de Sarah Trouche extraite de l’entretien initialement paru dans la Revue Point contemporain #4

(1) Projet Resilience, performance Flogging Joséphine, Fort de France, 2012 : http://www.sarahtrouche.com/?p=1928

 

Texte Point contemporain © 2017